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LA PEINTURE NECESSAIRE, ITINERAIRE DE BERNARD BODELET



Le dessin et la peinture sont pour le Docteur Bernard Bodelet de vieilles connaissances puisque toute sa jeunesse se passa au sein d'une famille où le grand-père pratiquait et enseignait les beaux-arts. Mais le dessin, l'aquarelle et la gouache auraient pu éloigner à jamais de la création artistique le garçon dont on occupait les loisirs en lui plaçant un pinceau entre les doigts.


Il n'en a fort heureusement rien été et si l'atavisme artistique ne fut pas assez fort pour l'emporter sur le goût de la médecine dans la destinée du jeune homme, il n'en est pas moins vrai que cette imprégnation familiale accrue par une jeunesse vécue au sein de cette terre d'art qu'est la Bourgogne est indélébile et que Bernard Bodelet ne pourra jamais s'en débarrasser.


Contrairement à beaucoup de peintres amateurs qui dressent une cloison étanche entre le champ des obligations professionnelles et le jardin secret de leurs goûts, Bernard Bodelet considère avec le même plaisir et presque la même importance son activité médicale et son talent d'artiste. Sa maison et son cabinet de consultation sont tapissés de ses oeuvres.


"Peindre pour se faire plaisir" dit-il. Qui douterait de la joie qu'il éprouve à travailler longuement sa toile et à y revenir puisque celle-ci est devenue un véritable miroir du peintre.


L'exposition du musée se développe selon un itinéraire parallèle à sa vie. Dans une première période, de 1961 à 1973, les toiles sont figuratives avec un chromatisme brun rouge très chaud et une palette bien nourrie : elles repré­sentent les belles maisons et chapelles de ce pays de la pierre, abritées sous leur vaste toit protecteur et rassurant. Il est vrai que ces demeures de la Bourgogne du Sud exercent un pouvoir magique sur ceux qui ont vécu leur jeunesse entre leurs murs. Lamartine est de ce pays.


Dans une deuxième période qui s'amorce dès 1971, Bernard Bodelet est en quelque sorte "délivré" de son environnement tournugeois, mais ne le regrette-t-il pas ? Ce sont le plus souvent des paysages qui naissent sur sa toile mais ils sont imaginaires. Même les vallées et les montagnes rouges ne sont pas celles des Vosges devenues pourtant pour lui terre d'accueil. Entre la robustebâtisse fortifiée du hobereau bourguignon et l'espace marin tempéré par l'irisation d'un soleil voilé où se noie la longue traînée blanche qui est peut-être une plage, il y eut le déracinement et l'entrée dans une vie active faite de tension, de fatigue et d'exaltation. L'arbre solitaire qui de temps à autre parait caler le paysage, est-il vraiment un arbre ? L'oiseau qui passe dans son ciel bleu vert est-il un oiseau ? Ne sont-ils pas plutôt dans l'univers minéral les seuls êtres vivants tributaires du temps qui passe ?

Quelques personnages apparaissent vers 1970 pour exprimer les trois étages de la vie. Dans une autre toile la Madone berce sur son sein une tête de mort. Dans d'autres encore les hommes sont acteurs ou spectateurs d'un drame qui interpelle toute notre civilisation puisque c'est au Golgotha qu'est située l'action... ce drame est l'épilogue de l'espoir qui s'était levé avec les rois mages sous un soleil rouge et brun et qui s'est vite éteint.


Ces oeuvres poignantes disent notre destin comme le cheval résigné qui marche sans pouvoir changer de chemin. La misère humaine rencontrée jour après jour dans un cabinet de consultation et sur les lits d'hôpitaux est là toute entière. Mais au bout de ces parcours imposés il y a tout de même une éclaircie : le médecin est présent qui soulage, qui donne espoir.


Puis les paysages d'eau blancs, verts. bleus reviennent prendre possession d'une aspiration vers la sérénité du silence et de la solitude propres à la méditation.


Entre l'immensité muette des marines, refuges du praticien surmené rêvant de vacances, et le flamboiement des soleils sources d'énergie. existe l'espace d'un équilibre quotidien fait d'une recherche technique permanente qui s'allie à la pure joie de peindre pour peindre. Au tournant de 1983 quel­ques tableaux de qualité donnent à voir le ciel comme paysage : sur un fond de crachis tendre se lève, dans un ciel gris-bleu, une lune apaisée. Ainsi s'ache­ve un parcours de quinze années, au cours desquelles il n'y eut jamais de renoncements ni de concession. Comment pourrait-il en être autrement puisque la peinture est aussi nécessaire à Bernard Bodelet que l'air qu'il respire ?

Albert RONSIN,
Conservateur du Musée Municipal
de Saint-Dié.